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C’est en 2022 que Claire a repris une ferme laitière dans le village de Barvaux-Condroz. Non issue du milieu agricole, cette jeune éleveuse-fromagère gère son troupeau de manière atypique : vêlages groupés, monotraite et veaux sous la mère. Dans ce portrait, Claire nous explique pourquoi elle a choisi cette organisation et comment celle-ci lui permet de libérer du temps pour d’autres activités, telles que la transformation du lait et la commercialisation des produits.

Bienvenue dans la ferme de Claire.

Présentation générale

Mon but c’est de produire de l’alimentation pour nourrir la population humaine mais faire cela dans le respect de la terre et respecter au maximum les cycles naturels qui sont fait.

Claire a grandi dans le Brabant Wallon. Non issue du milieu agricole, elle fait sa première expérience en ferme en Irlande au terme de ses études secondaires. De retour de son voyage, Claire entame des études de vétérinaire. Son diplôme en poche, elle repart pour une nouvelle expérience de wwoofing, au Canada cette fois. C’est alors qu’elle découvre son intérêt pour l’élevage. Voyant plutôt cette activité comme un hobby, Claire démarre sa carrière comme salariée dans la certification pour vite se rendre compte que le travail de bureau ne lui convient pas. Et pourquoi pas faire de ce hobby un métier ? Un travail à la Ferme de la Bourgade lui permet de prendre le temps de réfléchir son projet tout en apprenant les ficelles du métier.

Et c’est en mars 2022 que Claire accueille ses premières vaches dans sa ferme située à Barvaux-Condroz, et démarre son projet d’élevage et de fromagerie.

Le rêve de tout éleveur.

Claire a la chance d’avoir repris un parcellaire idéal pour une éleveuse, formé majoritairement d’un seul bloc et accessible directement de l’étable. Cette configuration permet aux vaches de rejoindre leurs prairies sans passer ni par la route, ni par des voisins. Ce qui n’empêche pas certaines génisses un peu téméraires de se retrouver chez les voisins ! Très rarement heureusement 😉

C’est en parfaite collaboration avec ses vaches que Claire, seule sur la ferme, produit des fromages à pâte dure ainsi que des glaces. De l’herbe à la salle de traite, les vaches jouent un rôle essentiel tant dans la préservation de la nature que dans la production de produits locaux, en conversion bio. Et comme rien ne se perd, les cochons eux aussi ont droit à des produits locaux, en récupérant le lactosérum issu de la transformation du lait.

Fière éleveuse d’un troupeau d’environ 18 vaches, Claire est également fromagère mais ce n’est pas tout. Désireuse de défendre ce qu’elle appelle « le plus beau métier du monde », elle est également vice-présidente du Conseil d’Administration de la FUGEA.

Retrouvez dans la suite de ce portrait, comment Claire s’organise pour produire dans le respect de la nature, du bien-être animal, mais également de son bien-être en tant qu’éleveuse.

Cliquez sur l'image pour découvrir le système de Claire

VIDEO : Gestion du troupeau en monotraite, vêlages groupés et veaux sous la mère

Claire regroupe les vêlages de son troupeau d’une quinzaine de vaches au printemps, pour maximiser le pâturage et ainsi atteindre l’autonomie alimentaire. Ses vaches ne sont traites qu’une fois par jour, et les veaux restent au sein du troupeau, ce qui permet de minimiser le travail d’astreinte et de libérer du temps pour la transformation du lait et la vente des produits.

Mise en place de la monotraite

La détérioration de la santé mammaire des vaches est l'une des principales préoccupations des éleveurs laitiers qui envisagent de passer à la monotraite. Pour surveiller ce paramètre, Claire effectue un contrôle laitier sur l'ensemble de ses vaches, afin de garantir à la fois la qualité du lait et la bonne santé du troupeau. Le taux cellulaire moyen du lait s'élève à 112 000 cellules/ml en 2022 et 130 000 cellules/ml en 2023, ce qui est bien en dessous du seuil d’infection (200 000 cellules/ml) et du seuil réglementaire fixé par l’UE (400 000 cellules/ml).

Après, j’ai des jeunes vaches, donc moins susceptibles de monter fort haut dans les cellules. C’est aussi pour ça que je fais le contrôle laitier, c’est pour bien vérifier et suivre que mon lait a une bonne qualité mais je n’ai pas de soucis. Et le fait que le veau tète, il revidange toujours un petit peu le pis, et c’est très sain pour le pis, c’est ce que je remarque.

Gestion de la reproduction

La conduite d'un troupeau avec des vêlages groupés au printemps demande de la rigueur : toutes les vaches doivent être fécondées durant les mois de juillet et août afin que les vêlages débutent en avril, en synchronisation avec la pousse de l’herbe. Claire a opté pour l’insémination artificielle, ce qui lui permet de mieux contrôler la reproduction et de choisir les reproducteurs. Claire apporte de l’importance à la mixité, aux taux, au comportement à la traite et aux critères fonctionnels (santé mammaire, facilité de naissance, aplombs).

icone trucs et astuces

Claire utilise un « calendrier 3 semaines » pour suivre la reproduction de ses vaches. Ce calendrier est structuré en colonnes successives de 3 semaines, qui correspond à la durée moyenne du cycle sexuel chez la vache. Il permet de visualiser en un coup d’œil la date approximative à laquelle une vache devrait revenir en chaleur. Par exemple, si une chaleur est observée le 23 juillet, la suivante devrait survenir autour du 13 août. Ce système facilite l'identification des vaches qui nécessitent une observation particulière.

Le calendrier « 3 S » est un outil qui facilite la gestion de la reproduction du troupeau.

Gestion des veaux

Les veaux restent avec leur mère, au minimum 2 à 3 mois

Je laisse les veaux téter, je ne dois donc pas m’en occuper, ce sont les mères qui s’en occupent et donc j’ai peu de problèmes de maladies. En fait ça roule, et moi je ne dois rien faire, c’est assez facile comme ça. C’est juste un peu du chipot au début, quand ils sont tout petits car il faut le temps qu’ils se mettent en route. Pendant 3 jours c’est un peu compliqué mais après ça va super bien. Ça veut dire aussi que je n’ai pas des cages à laver, des veaux à aller nourrir…

Le lait prélevé par les veaux n’est donc pas transformé en fromages et en glaces. Mais il n’est pas perdu pour autant ! Il permet aux génisses une croissance soutenue et un premier vêlage précoce à 24 mois, intéressant économiquement mais également pour limiter l’emprunte carbone des produits issus de la ferme. Les veaux mâles, de race mixte (Simmental), transforment également bien le lait de leur mère, sous forme de colis de viande de veau, vendus entre 16 et 17€/kg (TVAC).

Les mâles sont abattus au plus tard à 8 mois pour que ça soit encore de la viande de veau. L’année passée, il y en a un qui était magnifique à 5 mois, il est parti à 5 mois donc ça dépend du veau, de comment il a grandi, de la période pour faire les colis. Parce que ça joue aussi, si c’est les vacances, souvent, ce n’est pas le bon moment pour faire les colis donc je ne sais pas vendre mes veaux à ce moment-là.

Les années précédentes, en 2022 et 2023, les veaux restaient avec leurs mères pendant 2 à 3 mois, puis étaient adoptés par un lot de vaches nourrices. Ce lot, composé de la moitié du troupeau, avait la tâche d’allaiter tous les veaux de l’année (2 veaux par vache). Cette année, les vaches sont à leur troisième lactation : elles produisent donc plus de lait que les années précédentes. Claire va tenter de laisser les veaux le plus longtemps possible.

Ce que j’ai remarqué, en séparant les veaux à 2 mois, c’était quand même compliqué avec les vaches nourrices, il y en a qui s’en sortaient bien mais il y en a qui étaient mis à l’écart, qui grandissaient moins bien que les autres. Tandis qu’à 3 mois ça allait mieux, donc je me dis qu’en les séparant plus tard, ça ira mieux. Donc cette année, je vais voir combien de temps ils pourront rester avec leurs propres mères.

Parcellaire

Parcellaire de Claire : presque 30 ha d'un bloc, attenant aux bâtiments d'élevage

La ferme s'étend sur près de 30 hectares de prairies, dont la moitié est destinée au pâturage et à la fauche. Une prairie temporaire est exclusivement réservée à la fauche, tandis qu'une prairie naturelle (MB2) de 8 hectares est fauchée tardivement, à partir du 16 juin, puis utilisée pour le pâturage.

Avec une quinzaine de vaches laitières pour 30 hectares, la production de fourrage dépasse les besoins du troupeau. Claire échange donc le surplus de fourrage contre le travail de fenaison avec un éleveur voisin. Cela lui permet de déléguer cette tâche et de se concentrer sur d'autres activités essentielles de la ferme, telles que la transformation, qui a lieu tous les trois jours. Concrètement, le voisin fauche, fane et andaine, et repart avec la moitié des ballots.

Alimentation des vaches en hiver

% % % CB (/kg ) (g/kg ) (g/kg )Sucres (g/kg )Cendres (g/kg )
Ballots C1 prairie permanente68.015.127.0862602410386
Ballots C271.314.029.875949233294
Ballots PT Trèfle60.112.329.58315339785
Foin prairies naturelles84.07.932.578557-519358
Composition chimique et valeur nutritive des fourrages récoltés en 2023 chez Claire

Claire fait analyser ses fourrages dans un laboratoire du réseau REQUASUD pour identifier le lot le plus riche et le mieux équilibré. Ce lot sera destiné aux vaches en fin de lactation, de leur rentrée à l'étable jusqu'à la fin janvier. Durant les deux mois de tarissement (février et mars) les vaches reçoivent du foin tardif provenant de la prairie naturelle. Ensuite, dès le mois d’avril, elles vêlent et sont mises en prairie.  

Ça se met super bien avec les vêlages groupés, c’est aussi ça l’avantage, c’est que les besoins des vaches sont élevés sont au moment du pic de croissance de l’herbe. Et en hiver, au moment où les fourrages sont moins riches, elles sont justement en tarissement.

Au cours d’une année, Claire n’achète que 500 kg de céréales en tout pour attirer les vaches dans la salle de traite, quelques blocs de sel et des seaux de minéraux.

VIDEO : Transformation du lait et vente en circuit-court

Claire a décidé de se réapproprier toute la valeur ajoutée de ses produits agricoles en transformant l’intégralité du lait de son troupeau et en commercialisant les produits issus de cette transformation en circuit-court. Dans cette vidéo, découvrez les produits que Claire fabrique, ses canaux de distribution, la manière dont elle s’organise pour gérer seule l’élevage, la transformation, et la commercialisation et ce qui l’a aidée à concrétiser son projet.

Apprentissage du métier

Tout a commencé lors d’un stage réalisé à la ferme de Jambjoule, où Claire a découvert la fabrication du fromage. Cette expérience lui a donné envie de suivre la formation en fromagerie à l’ de Ciney. Elle y suivra aussi la formation « Valorisation du lait de ferme en crème glacée ».

Par la suite, elle a effectué d’autres stages et travaillé dans plusieurs fermes spécialisées dans la production de fromage. Au fur et à mesure que son projet prenait forme, Claire a testé des recettes en achetant du lait qu’elle transformait chez elle. Grâce à ces expériences, elle a finalement choisi les fromages qu’elle fabriquerait ainsi que les recettes qu’elle suivrait.

Au début, j’imaginais tout faire, j’imaginais faire des yaourts, de la maquée, des camemberts, puis finalement c’est comme ça que je me suis réorientée vers le fromage à pâte dure.

Investissements réalisés

Claire a repris la ferme d’un agriculteur qui livrait auparavant son lait à une laiterie classique. Les bâtiments et la salle de traite étaient fonctionnels après la reprise mais la ferme n’était pas encore équipée d’un atelier de transformation. Forte de ses expériences, qui lui ont permis de définir précisément les produits qu’elle souhaitait fabriquer, Claire a décidé de créer un atelier conçu pour durer toute sa carrière. Cet atelier est équipé d’une grande cave d’affinage et de matériel fiable, fonctionnel, et aménagé de manière à minimiser les efforts physiques, avec des équipements sur roulettes, par exemple.

C’était vraiment une réflexion au début, de savoir si j’essayais de chipoter d’abord dans un petit atelier auto-construit ou si j’investissais pour de bon. Là, j’ai un espace nickel pour travailler et ça, c’est un plaisir. C’est agréable de travailler ici.

L’atelier de transformation représente un investissement de 185.000€. Ce montant inclut également le raccordement à l’eau et l’électricité, l’installation des compteurs et la construction d’un lagunage pour gérer les eaux usées. Claire a demandé les aides à l’installation à la Région Wallonne, qui s’élèvent à 70.000€.

Chaudron de 400 litres au centre du local de transformation
Hall donnant accès à la cave d'affinage, aux chambres froides, à l'atelier de transformation, aux sanitaires et au bureau

Facteur de rentabilité de l'activité de transformation, l'analyse d'Accueil Champêtre en Wallonie.

Pour Claire, la mise en place de l’exploitation s’est effectuée dans le but de transformer la totalité du lait produit (± 24.000 litres par an, dont 98 % en fromage à pâte dure et 2% en glace). La création d’un salaire avec la transformation est donc une des conditions d’existence de la ferme.

Concernant les investissements, la fromagerie est la seule chose nouvelle que j’ai faite.

Le projet se distingue par des investissements importants dans les bâtiments par rapport à ce qu’on peut rencontrer généralement dans d’autres projets de transformation. En effet, au début de l’activité, Claire a choisi de partir du bâtiment existant et d’y aménager un nouvel atelier. En plus du matériel à installer, il a fallu amener l’eau, l’électricité, refaire un lagunage pour évacuer les eaux usées. Un tel choix a des conséquences sur la rentabilité de l’activité durant les premières années de l’activité dont il faut avoir bien conscience, au vu des amortissements annuels importants et du fait que la transformation et commercialisation en circuits courts sont la principale source de revenus de l’activité.


Origine des matières premières achetées pour la glace

Claire produit une gamme de glaces comprenant six saveurs de base : vanille, chocolat, stracciatella, spéculoos, moka, et fleur de lait. Occasionnellement, elle produit également des glaces au caramel et à la noix de coco/chocolat (Bounti).

J’essaie de trouver les ingrédients au maximum locaux et équitables, et toujours en bio.

Pour le chocolat, le spéculoos, le café et le cacao, Claire se fournit auprès de la marque Ethiquable. Le sucre provient d’Allemagne, car il est peu disponible en bio en Belgique, tandis que la poudre de lait, utilisée pour limiter la formation de cristaux dans la glace, est d’origine belge. Concernant les œufs, Claire opte pour des jaunes d’œufs bio pasteurisés, ce conditionnement facilitant le travail et supprimant la gestion des blancs.

J’aimerais bien faire de la glace aux fruits... quand mes petits fruits seront productifs, je ferai de la glace aux fruits.

Claire a planté des petits fruitiers tels que des cassissiers, framboisiers et des groseilliers, et prévoit de fabriquer des glaces avec ses propres fruits. Elle compte également collaborer avec des maraîchers voisins pour utiliser leurs surplus de fraises par exemple.

Planning de production

Je transforme tous les 3 jours fixes, (…) j’essaie que mon chaudron soit toujours plein ou presque plein quand je transforme, comme ça je suis efficace

Claire trait ses vaches dix mois sur l’année, de début avril à fin janvier. Sur cette période, elle transforme environ 350 litres de lait tous les 3 jours. Selon la saison, elle fabrique également de la glace entre 2 productions de fromage. Pour cela, 30 litres de lait sont transformés en 2 lots de saveurs différentes.

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FromageGlace  Préparation des mixGlace  TurbinageFromage
Planning de transformation du lait

Points d'attention avant de se lancer dans la transformation,
le point d'Accueil Champêtre en Wallonie

  • RENTABILITÉ : L’évaluation de la rentabilité, incluant le calcul du prix de revient, du prix de vente (des fromages, de la glaces et des veaux vendus en colis), de la marge bénéficiaire, des primes et tenant compte d’une rémunération juste du temps de travail, doit toujours être réalisée.
  • ORGANISATION DU TRAVAIL : La réalisation d’un semainier s’avère très utile pour calculer le temps de travail global et ainsi déterminer une rémunération horaire plus juste. Un semainier reprend le planning de tout ce que vous faites (tâches régulières comme : transport, transformation, vente, nettoyage, travail administratif, …), sur une semaine, avec les heures de la journée. Aucune activité ne doit être oubliée et le temps de réalisation doit être estimé.
  • HYGIÈNE POUR LA TRANSFORMATION : L’agencement de l’atelier de transformation doit être bien réfléchi. En autorisation, les plans peuvent être validés par l’AFSCA avant de démarrer. DiversiFerm et PreventAgri sont des structures qui peuvent également vous accompagner dans ces démarches.
  • ENCADREMENT : Afin de vous épauler lors de la réflexion liée au développement de votre projet de diversification, des structures comme Accueil Champêtre en Wallonie et DiversiFerm existent et sont là pour apporter une série de connaissances ainsi qu’un regard critique sur l’activité à développer.
  • Référence utile : DiversiFerm : Vade-mecum de la valorisation des produits agricoles et de leur commercialisation en circuits courts.

Les projets de Claire

Claire est satisfaite de la gestion de son troupeau, mise en place au cours des deux dernières années malgré les défis rencontrés. Aujourd’hui, son objectif est de consolider son système actuel, et de mettre en œuvre progressivement ses projets futurs.

Parmi ses projets, Claire souhaite :

  • Installer des panneaux photovoltaïques pour accroître son autonomie en électricité.
  • Planter des haies et des arbres fruitiers pour créer de l’ombre dans les pâtures et diversifier les produits de la ferme.
  • Trouver un associé dans le but de développer de nouvelles activités au sein de la ferme, diversifier les revenus et créer des synergies. Claire envisage notamment de participer à des marchés pour vendre directement ses produits, de fabriquer des produits frais tels que des yaourts, de créer un camping à la ferme ou encore de transformer la viande directement sur place.

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