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Biodiversité et agriculture : une cohabitation historique

Depuis près de 8000 ans, le développement de l’agriculture façonne les paysages et la nature. Les révolutions agricoles se succèdent et permettent la création de milieux ouverts qui constituent de nouveaux habitats pour de nombreuses espèces encore présentes dans nos campagnes. Cette biodiversité enrichit notre patrimoine naturel et fournit de nombreux services à la société, communément appelés services écosystémiques. La modification de ces habitats a permis à des espèces non présentes en milieu forestier de s’établir dans nos campagnes, d’évoluer et de s’adapter à ces milieux à travers les siècles et les générations. On qualifie de spécialistes des milieux agricoles, les espèces qui dépendent directement d’un écosystème agricole pour se développer.

Niveau d'expression de la biodiversité
La biodiversité ou encore diversité biologique désigne globalement la diversité des organismes vivants à tous les niveaux des écosystèmes jusqu’au sein d’une même espèce. Cette biodiversité constitue la fondation des processus écologiques indispensables à la vie sur terre.

Les services écosystémiques peuvent être définis comme l’ensemble des bénéfices que les humains retirent des écosystèmes et de la biodiversité. On distingue trois grandes catégories de services écosystémiques. Les services d’approvisionnement concernent la production de biens consommés par la société sous forme de nourriture, de matériaux ou encore d’énergie. Les services de régulation regroupent les phénomènes de contrôle et de maintien du bon fonctionnement des écosystèmes. Bien souvent, ils agissent en soutien à la production. A titre d’exemple, les organismes du sol maintiennent la fertilité des sols en recyclant la matière organique en nutriments. Les couverts végétaux limitent l’érosion, réduisent les écoulements et les inondations qui en découlent. Ils fixent du CO2 de l’atmosphère qui pourra, en partie, être stocké dans les sols sous forme de matières organiques. Les arbres fournissent de l’ombre et régulent le cycle de l’eau. Les insectes sont responsables de la pollinisation et participent à la régulation des ravageurs des cultures etc. Enfin, les services socioculturels tels que les loisirs ou le tourisme qui dépendent directement de la qualité des écosystèmes et de la biodiversité présente dans nos campagnes.

Biodiversité agricole
La matrice agricole habrite une faune et une flore spécifique qui dépendent directement de la gestion des agroécosystèmes.

La dernière révolution agricole en date, souvent appelée révolution verte, a provoqué un profond bouleversement des pratiques agricoles. Les progrès de la phytogénétique, couplés à d’autres moyens techniques comme la mécanisation des travaux agricoles, le recours aux engrais minéraux et l’emploi de pesticides ont permis une augmentation spectaculaire des rendements agricoles. Cette intensification des pratiques agricoles s’accompagne toutefois d’un déclin hautement préoccupant de la biodiversité et perturbe fortement les équilibres établis depuis plusieurs siècles. Parmi les espèces les plus suivies en Wallonie, l’exemple des oiseaux spécialistes des champs est probablement le plus parlant. Depuis les données collectées en 1990[1], les populations d’oiseaux spécialistes des milieux agricoles ont chuté de près de 60% avec des espèces proches de l’extinction, comme le bruant proyer (perte de 99.4% des effectifs) ou la perdrix grise (perte de 92.4% des effectifs), pourtant communes dans le passé.

Evolution des populations d'oiseaux communs
Évolution des effectifs d'oiseaux communs en Wallonie.

[1] L’année 1990 correspond au début de la collecte systématique des données. Il est important de noter que cette année est une année de référence par défaut et qu’elle ne correspond pas forcément à un bon état de conservation des espèces.

Quelles pratiques adopter pour améliorer l’impact de son exploitation ? 

La préservation de la biodiversité constituant un des principes fondateurs de l’agroécologie, il est fondamental d’identifier les principaux leviers pouvant être mis en œuvre au niveau de la ferme. Pour cela, nous avons consulté la littérature scientifique sur le sujet et en avons fait une synthèse. Dans le tableau ci-dessous, nous illustrons les effets des pratiques les plus souvent citées dans la littérature et sur le terrain. Une flèche verte correspond à un effet positif de la pratique mentionnée alors qu’une flèche orange ou rouge illustre, respectivement, un effet moindre ou un effet négatif de la pratique. L’épaisseur de la flèche illustre le niveau de confiance en fonction de la littérature scientifique disponible. Si la majorité des effets étaient attendus, certains résultats sont tout de même surprenants et méritent d’être d’avantage explicités.

Impact des pratiques agricoles sur la biodiversité
Impacts des pratiques agricoles sur les groupes d’espèces les plus communs.

Présence d’éléments semi-naturels ou maillage écologique

Schéma maillage écologique
Composition du maillage écologique en zone agricole. Source : Natagriwal ASBL

Comme les humains, les organismes vivants ont besoin du gîte et du couvert pour se développer. Les éléments semi-naturels (haies et arbres, bandes enherbées, bandes fleuries, mares, prairies extensives, céréales laissées sur pied…) présents dans la matrice agricole forment un maillage écologique qui sert de refuge pour de nombreuses espèces et fournit des ressources. Le développement du maillage écologique sur une exploitation constitue en quelque sorte la fondation d’une ferme favorable à la biodiversité. Pour être efficace, les infrastructures doivent être présentes en densité suffisante, être adaptées aux enjeux de la zone et être bien réparties sur les surfaces de la ferme. En zone de grandes cultures, les spécialistes citent un besoin de l’ordre de 7% de la qui devrait être principalement composée de couverts herbacés jouissant d’une gestion adaptée telles que les tournières enherbées et les parcelles aménagées. En prairie, les besoins en surfaces sont plus élevés (de l’ordre de 15% des prairies) car en plus des infrastructures linéaires telles que les haies bocagères, il est nécessaire de maintenir des surfaces de prairies extensives (plus de détails plus bas) en quantité suffisante.

Le programme et les aides à la plantation permettent d’obtenir des aides financières pour les agriculteur·rice·s. L’ASBL Natagriwal conseille les agriculteur·rice·s qui souhaitent mettre en place des mesures spécifiques sur leurs exploitations (www.natagriwal.be).

Maintien de prairies extensives

En Europe, certaines prairies tempérées constituent des « hot spot » de biodiversité. On estime par exemple que plus de 18% des plantes vasculaires endémiques et environ 2/3 des espèces de papillons dépendent directement des prairies naturelles gérées de façon extensives (pas de fertilisation minérale, fauche tardive etc.). L’intensification des prairies permanentes (fertilisation, pâturage intensif ou fauche précoce) favorise les espèces à croissance rapide et cause une homogénéisation des prairies. Cette intensification se traduit généralement par une charge en bétail plus élevée à l’échelle de l’exploitation. Les prairies naturelles (MB2) et prairies de haute valeur biologique (MC4) sont les principaux outils à disposition pour permettre un développement optimal de la biodiversité avec une compensation de revenus pour les agriculteur·rice·s.

En plus de la nécessaire gestion extensive des prairies, il est important d’adapter ses pratiques pour limiter la mortalité lors de la fauche. Plus d’infos sur la fiche technique « techniques de fauche ». 

Réduction de la taille des parcelles

Comme le montre le tableau, la taille et la forme du parcellaire sont également d’une importance cruciale pour la plupart des espèces. Il est en effet bien établi que des parcelles de taille modeste (c’est-à-dire ne dépassant pas 5 ha, environ) sont plus favorables au développement de la biodiversité. Ces parcelles permettent aux espèces d’accéder plus facilement aux refuges situés en bordure de champ (cf : maillage écologique) et ont la possibilité de fuir dans le champ voisin lorsque c’est nécessaire. La forme est également importante : pour une même taille, un champ « long et rectangulaire » sera plus favorable qu’un champ plutôt carré où la distance entre les bordures est plus importante.

Taille des parcelles(1)

Une faible distance entre les bordures et/ou les éléments semi-naturels (idéalement pas plus de 100m) est également indispensable pour permettre aux auxiliaires de cultures d’accéder au centre du champ et d’y réguler les insectes ravageurs. Plusieurs techniques de découpage des parcelles peuvent être mobilisées comme l’alternance des cultures ou encore l’installation d’une bande aménagée ou une haie entre les parcelles, voire au sein des parcelles.

Taille des parcelles (2)

Diversification des cultures et cultures favorables

Fait étonnant, les effets de la diversification des cultures sont controversés. Certaines études récentes ont même mis en évidence des effets néfastes de la diversification des cultures si la réflexion n’est pas approfondie en prenant en compte les cultures qui composent les rotations. En effet, diversifier sa rotation avec des cultures sensibles nécessitant une forte utilisation d’intrants et surtout de pesticides n’apportera aucun effet bénéfique pour la biodiversité et pourrait même avoir des impacts négatifs. A contrario, constituer sa rotation ou la diversifier avec des cultures plus favorables à l’environnement comme les légumineuses fourragères ou en association, ou encore les oléo-protéagineux peut s’avérer bénéfique pour les insectes pollinisateurs et les organismes du sol. Au-delà donc du principe de la rotation qui reste une pratique fondamentale à bien des égards, c’est donc le choix des cultures constituant la rotation ainsi que leur mode de gestion qui sera prépondérant pour la préservation de la biodiversité.

Réduction d’utilisation des pesticides

Sans aucun doute, la littérature scientifique s’accorde sur le fait que la réduction d’utilisation, voire la suppression des pesticides est fondamentale pour le maintien de la biodiversité dans les espaces agricoles. Les principaux leviers ayant fait leur preuve pour réduire l’utilisation de pesticides sont les suivants. L’ordre de ces leviers correspond à l’existence de preuves scientifiques claires d’un effet bénéfique réel sur la biodiversité :

  1. Travailler en agriculture biologique
  2. Réduire la présence de cultures sensibles dans son assolement
  3. Changer les pratiques agricoles (choix des variétés, désherbage mécanique, associations de cultures, lutte biologique…). De nombreux exemples de pratiques répondant à cet objectif sont disponibles sur ce site. Pour obtenir des résultats satisfaisants à l’échelle de l’exploitation, il est donc nécessaire de mener une réflexion globale qui ne se limite à l’application d’une pratique qui isolément risque d’avoir un impact relativement modeste.   

Au-delà des produits phytosanitaires, certaines substances antiparasitaires sont également toxiques pour les insectes coprophages qui jouent un rôle essentiel dans l’écologie des prairies et la dégradation des déjections. Ces effets négatifs peuvent se répercuter plus haut dans la chaîne trophique (oiseaux insectivores, chauves-souris…) en réduisant notamment leurs sources de nourriture. A titre d’exemple, la chauve-souris grand rhinolophe se nourrit exclusivement d’insectes coprophages à certains stades de son cycle. De plus, le traitement systématique et souvent onéreux empêche les animaux de développer leur immunité naturelle et peut causer le développement de résistances aux substances les plus administrées. Il est donc essentiel de raisonner au mieux l’emploi de ces substances afin de limiter leurs effets indésirables tout en maintenant le troupeau en bonne santé. Pour approfondir ce sujet, le lecteur peut consulter notre synthèse sur la gestion raisonnée du parasitisme ici.

Réduction du travail du sol

Le travail du sol a un impact négatif sur les organismes du sol. Une mortalité accrue de ces organismes peut être causée par des effets directs (ie : les machines blessent ou tuent les plus grands organismes comme les vers de terre et les carabes ; enfouissement en profondeur d’organismes de surface, et inversement) ou par des effets indirects (exposition aux prédateurs). L’impact du travail du sol et du labour sur les micro-organismes est moins prononcé même si certaines études suggèrent une augmentation de l’activité microbienne dans les sols non labourés. Celle-ci résulte probablement d’une baisse des fluctuations des températures, de conditions plus humides dues à une présence accrue de résidus en surface et de la combinaison du non-labour avec d’autres pratiques favorisant les micro-organismes (couverture longue des sols et diversification des espèces végétales).

Les modalités peuvent varier d’un travail profond avec inversion et enfouissement des résidus (souvent appelé travail du sol conventionnel ou labour) au semis direct en passant par les techniques culturales simplifiées (pas d’inversion, enfouissement partiel des résidus) superficielles ou non. Au-delà de l’utilisation ou non du labour, l’emploi d’outils animés (tels que la herse rotative) aurait un impact particulièrement délétère sur les populations de champignons et de la mésofaune.

Intercultures

Bien que pouvant être étudié de manière isolée, le travail du sol se conjugue le plus souvent avec d’autres pratiques culturales comme l’augmentation de la couverture des sols, notamment en hiver. Les couverts végétaux sont globalement bénéfiques pour la qualité et la vie des sols, surtout s’ils sont constitués de plusieurs espèces et familles botaniques. Selon leur composition, les couverts peuvent éventuellement fournir des ressources alimentaires pour certains oiseaux lorsque le couvert est maintenu durant l’hiver (destruction du couvert la plus tardive possible) et pour les pollinisateurs à la fin de l’été lorsque la ressource florale commence à manquer pour autant que le semis soit suffisamment précoce.

Autres gestes pour la biodiversité

Au-delà des pratiques décrites plus haut, on peut également mentionner une série de pratiques plus ponctuelles ou « autres gestes » favorables à la biodiversité. Si ces gestes ne seront jamais suffisants, il peuvent se révéler intéressants dans certaines situations. On peut citer le maintien de petites infrastructures comme l’installation de nichoirs, de plots à alouettes placés dans les champs de blé, pierriers et autres tas de branchages qui peuvent servir de micro habitats pour toute une série d’organismes vivants. Enfin, les bâtiments d’élevage peuvent également se révéler accueillant pour les chauve-souris et certains passereaux.

Pyramide, un outil pour diagnostiquer ses pratiques

Si le tableau présenté plus haut permet d’y voir plus clair, il reste insuffisant pour faire le diagnostic d’une exploitation et situer efficacement les efforts réalisés. Pour aller plus loin, Natagriwal a donc développé l’outil Pyramide. Cet outil adopte une approche à l’échelle de l’exploitation et s’appuie sur la quantification de 10 critères qui permettent quantifier les efforts réalisés sur une exploitation et à les présenter de façon synthétique. Les résultats sont communiqués sous la forme d’une pyramide qui reprend ces 10 indicateurs de pratiques traduits par un code couleur facile à interpréter. Les pratiques situées à la base de la Pyramide constituent la fondation d’une exploitation accueillante pour la biodiversité. Les indicateurs situés au sommet évoquent en quelque sorte la “ cerise sur le gâteau ”.

Pyramide de la biodiversité
La pyramide de la biodiversité permet de visualiser facilement les résultats d'un diagnostic.

Comme dans un bâtiment, une fondation trop faible représente un risque pour les étages supérieurs. La Pyramide s’adapte automatiquement au type d’exploi­tation (ferme herbagère, ferme mixte ou spécialisée…). Cette représentation permet une identification rapide des principaux atouts et leviers d’amélioration pour la ferme. Les données de chaque ferme sont enregistrées de façon anonyme et pourront éventuellement être compa­rées à des diagnostics réalisés dans le futur pour observer les évolutions des pratiques au sein de la ferme. L’outil est conçu pour être utilisé en ferme par un·e conseiller·ère ou un·e animateur·rice.

Un diagnostic se déroule en 5 étapes :

  1. S’inscrire sur https://www.bd.natagriwal.be/pyramide en encodant votre pseudonyme et une adresse mail.
  2. Télécharger la synthèse “utilisateurs de l’outil Pyramide” pour prendre connaissance des indicateurs et du fonctionnement approfondi de l’outil.
  3. Collecter les informations auprès de l’agriculteur·rice. En principe, l’encodage se fait en direct pour autant qu’un accès à internet soit disponible.
  4. Une fois le premier encodage validé, la Pyramide de l’exploitation apparaît et peut être montrée directement à l’agriculteur·rice. La simplicité de l’outil permet au·à la conseiller·ère de donner directement les premières explications et d’engager la discussion avec l’agriculteur·rice pour identifier des pistes d’amélioration. La simplicité et la convivialité de l’outil permettent d’effectuer les étapes 3 et 4 en moins de 2 heures (sauf si la discussion se prolonge…). 
  5. Le·la conseiller·ère envoie le rapport après vérification de l’encodage. Une synthèse des discussions peut être annexée. Suite au diagnostic, des visites sont souvent nécessaires pour approfondir les discussions et concrétiser les actions sur le terrain.

Pour aller plus loin

Webinaire expliquant les indicateurs de l'outil Pyramide :

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